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mardi 28 février 2012

Retour sur l'actualite:Comment Jean-Bertrand Aristide presidait au trafic de drogue en Haiti

1er avril 2004
Jean-Michel Caroit, Le Monde
Condamne a Miami, le trafiquant Beaudoin "Jacques" Ketant accuse l’ex-chef de l’Etat d’avoir ete le "parrain" de lacocaine sud-americaine dans le pays. Les Etats-Unis utilisent le dossier des stupefiants comme un moyen de pression.
L’inculpation reste une menace pour l’ancien president.
"Il m’a trahi, comme Judas a trahi Jesus." C’etait le 25 fevrier, quatre jours avant la fuite du president haitien Jean-Bertrand Aristide.
Peu avant d’etre condamne a 27 ans de prison et 30 millions de dollars d’amende par un tribunal federal a Miami, Beaudoin "Jacques" Ketant accusait M. Aristide d’etre le "parrain" du trafic de drogue en Haiti.
Proprietaire d’une maison evaluee a 8 millions de dollars a Vivi Michel, sur les hauteurs surplombant Port-au-Prince, exhibant des toiles de Picasso et de Monet, M. Ketant a reconnu avoir distribue plus de 40 tonnes decocaine colombienne aux Etats-Unis depuis une douzaine d’annees.
"Le patron, c’etait Aristide.
Je l’ai paye durant des annees.
Il fallait le payer, sinon on mourait", a-t-il declare devant le tribunal.
Partenaire des principaux cartels colombiens de Medellin, de Cali et du Norte del Valle, Beaudoin "Jacques" Ketant avait debute dans le trafic avec le colonel Michel Francois, l’un des "cerveaux" du coup d’Etat qui avait renverse Jean-Bertrand Aristide en septembre 1991. Cet ancien chef de la police est refugie au Honduras, un pays qui n’a pas de traite d’extradition avec les Etats-Unis.
M. Ketant avait noue d’etroites relations avec le president Aristide depuis leur rencontre, en 1998, par l’intermediaire d’un autre trafiquant.
Il le qualifiait de "compadre" (compere), une expression amicale commune en Amerique latine.
Beaudoin Ketant affirme qu’il lui versait environ 500 000 dollars par mois pour l’usage exclusif de la Nationale 9, ou la police interrompait le trafic pour permettre l’atterrissage des avionnettes chargees de cocaine. M. Ketant cotisait aussi environ 500 000 dollars par an a la Famille Lavalas, le parti presidentiel, et envoyait regulierement des sommes importantes a la Fondation Aristide pour la democratie, selon son temoignage recueilli en prison par l’intermediaire de son avocat, Ruben Oliva.
AUTORITES CORROMPUES
En fevrier 2003, un jeune frere de Beaudoin Ketant, Hector, est tue a son domicile lors d’une descente de la Brigade de recherche et d’intervention (BRI).
"Aristide avait besoin d’argent pour financer le carnaval.
D’habitude, il prenait 30 %, mais, cette fois, il voulait 80 % sur une grosse cargaison, plus de 700 kg. La negociation a mal tourne et Rudy Therassan a tire sur Hector et l’un de ses gardes du corps, Hermann Charles", selon un temoin.
Aujourd’hui refugie a Miami ou il travaille pour la DEA (le service antidrogue americain), le chef de la BRI, Rudy Therassan, etait au coeur du dispositif mis en place pour "taxer" le trafic de drogue.
En mai, Beaudoin "Jacques" Ketant et ses gardes du corps provoquent un scandale a l’Union School, le tres chic college bilingue de Port-au-Prince, ou l’un de ses fils cotoie les enfants des diplomates americains.
Outree, l’ambassade des Etats-Unis proteste directement aupres du president Aristide, qui s’efforce alors d’obtenir la reprise de l’aide internationale, gelee depuis la crise post-electorale de 2000. Le 17 juin, M. Ketant est convoque au palais presidentiel ou il est, selon ses termes, "kidnappe" et livre a cinq agents de la DEA, l’Agence americaine de lutte contre le trafic de drogue.
Menotte, il tente de s’enfuir sur le tarmac de l’aeroport de Port-au-Prince avant d’etre emmene a Miami.
"Peu apres avoir livre Ketant, Aristide a obtenu la reprise des financements de la Banque interamericaine de developpement", note un diplomate.
Depuis des annees, les rapports officiels americains notent qu’Haiti "est une plateforme importante de transbordement de la cocaine sud-americaine vers les Etats-Unis" et decrivent la corruption des autorites, qui permettent aux trafiquants d’operer sans encombre.
La presse americaine a publie de nombreux articles sur ce sujet.
Il y a deux ans, le Wall Street Journal citait Mario Andresol, ancien directeur de la police judiciaire haitienne, qui s’etait exile : "Les trafiquants travaillent avec Aristide...
Des personnes que j’ai arretees pour trafic de drogue ont ete promues au sein de la polic."
"Il est difficile d’imaginer qu’Aristide ne participait pas a cette activite criminelle extremement lucrative", a declare recemment a une chaine de television l’ancien general Barry McCaffrey, responsable de la lutte antidrogue du president Bill Clinton.
Outre M. Ketant, une cinquantaine d’autres trafiquants haitiens sont sous les verrous aux Etats-Unis.
L’un d’eux, Eliobert Jasme, surnomme "Ed1", du nom de son entreprise de construction, a jusqu’a present refuse de parler et a choisi le meme avocat que l’ancien president panameen Manuel Noriega, Me Frank Rubino.
Mais d’autres se sont mis a table.
Carlos Ovalle, un trafiquant colombien qui a longtemps reside en Haiti, a ainsi accepte de cooperer avec les autorites americaines.
REUNION D’URGENCE
La recente arrestation a Toronto d’Oriel Jean, ancien chef de la securite presidentielle, est encore plus menacante pour M. Aristide.
Envoye aux Etats-Unis, Oriel Jean a ete inculpe pour trafic de cocaine par le tribunal federal deMiami.
Selon un informateur de la DEA, un ancien trafiquant de drogue haitien, Oriel Jean prelevait 50 000 dollars sur chaque cargaison de cocaine qui arrivait par avion en Haiti.
"Les Americains savaient parfaitement ce qui se passait.
Je leur ai personnellement transmis des informations qui n’ont pas eu de suite.
Ils connaissaient l’importance du narcotrafic dans l’economie haitienne.
Mon impression est qu’ils preferaient fermer les yeux pour ne pas devoir prendre en charge Haiti", confie un general a la retraite de la Republique dominicaine voisine.
Des la fin des annees 1990, plusieurs de ses informateurs dans la zone frontaliere lui avaient indique que les trafiquants versaient un "peage" a la Fondation Aristide.
Pour Washington, la principale menace venant des grandes Antilles est l’immigration illegale.
L’attaque de la base navale de Killick par un groupe de "chimeres", les partisans armes de l’ancien president haitien, a ete l’un des elements decisifs qui a pousse le gouvernement americain a demander, peu apres la France, le depart de M. Aristide.
Situee a la sortie sud de Port-au-Prince, cette base des garde-cotes a pour mission principale de controler les boat people.
L’attaque a provoque une reunion interministerielle d’urgence a la Maison blanche, le 27 fevrier, au cours de laquelle le plan de la Communaute des Caraibes (Caricom), prevoyant le maintien du president Aristide au pouvoir jusqu’au terme de son mandat, en 2006, a ete abandonne par Washington.
Pour les Americains, le dossier drogue arrive en deuxieme position apres le risque d’une arrivee massive de refugies, et il est souvent utilise comme un moyen de pression, voire de chantage.
Plusieurs membres de l’administration Bush sont partisans d’une inculpation rapide de Jean-Bertrand Aristide pour trafic de stupefiants.
La recente suspension de son visa americain pourrait etre un premier pas. D’autres preferent conserver cette arme comme une epee de Damocles.
"Plus il ouvre la bouche, plus l’inculpation se rapproche", dit un fonctionnaire qui travaille sur le dossier.
A Port-au-Prince, "tout le monde savait"
Dans un discours d’une rare franchise, le 9 juillet 2003, l’ambassadeur des Etats-Unis a Port-au-Prince, Brian Dean Curran, en fin de mission, denonce la tolerance de la societe haitienne a l’egard du trafic de drogue.
"Lestrafiquants sont bien connus.
Ils s’approvisionnent dans vos magasins ; vous leur vendez des maisons ou leur en construisez de nouvelles ; vous prenez leurs depots ; vous eduquez leurs enfants", lance-t-il aux membres, petrifies, de la chambre de commerce americaine d’Haiti, l’elite economique du pays. "En Haiti, les trafiquantsn’avaient pas besoin de se cacher.
Tout le monde savait", confirme un diplomate.
Tout le monde, a commencer par les Americains.
Pourquoi n’ont-ils pas utilise ce dossier contre Jean-Bertrand Aristide, comme ils l’avaient fait contre Manuel Noriega, l’ancien president du Panama qui croupit dans une prison de Miami depuis 1989 ?

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