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jeudi 29 mars 2012

La Renaissance du groupe Zenglen avec Réginald Cangé

L’univers de la musique dansante parait être nuageux. Les étoiles ne brillent plus de leur éclat d’antan. Pourtant, elles ne disparaissent pas. Elles deviennent plutôt inaperçues. Ce ciel nuageux nous rappelle un fait. À Port-au-Prince, on dirait « Pétion-Ville mare ». Cela sous-entend qu’il va pleuvoir.  Instantanément, on devient météorologiste puisqu’on décrit la couleur du temps, à partir des observations météorologiques « fictives ». Après la pluie c’est le beau temps.  

Le soleil retourne à son horizon  

Réginald Cangé rejoint le groupe Zenglen officieusement. Il était bruit qu’il ferait partie du nouvel orchestre de Richie, l’ancien batteur du groupe Zenglen, qui a jugé bon d’aller explorer d’autre univers. Mes enquêtes méticuleuses ont prouvé le contraire puisque Réginald a fait un choix. Il apportera au Zenglen tout ce dont il a besoin pour briller de son éclat d’autrefois. Puisque c’est au pied du mur qu’on reconnait le vrai maçon, le Zenglen doit prouver qu’il est capable de se replacer solidement sur l’échiquier musical haïtien.  

Le divorce de Richie avec le Zenglen avait créé un grand tourbillon dans l’industrie musicale haïtienne. Richie s’organise bien. Il regroupe des musiciens pour mettre sur pied son propre orchestre. Personne n’ignore son talent. Qu’on le veuille ou non, il demeure le meilleur batteur de cette génération de musiciens haïtiens jouant le style Konpa Dirèk.   

Romny « El Pozo », ex-guitariste du Zenglen, a aussi laissé le groupe, peu de temps après la démission de Richie. Son départ a enfoncé le clou un peu plus profondément dans l’âme même du Zenglen. Cette séparation a été un coup dur pour Brutus et les autres musiciens du groupe.  Ils ne s’y attendaient pas. Brutus ne savait à quel saint se vouer. Il était sous le coup de l’émotion. Il a vite repris son calme, et avec la tête froide il a étudié toutes les possibilités à sa portée, qui pourraient lui garantir une sortie de crise au plus vite.  

Certains pensaient qu’avec cette deuxième perte,  le Zenglen avait atteint le point de non-retour. En un temps record, Brutus a fait l’acquisition d’un jeune guitariste qui, à mon avis n’a que 23 ans. Ce guitariste remplit bien l’espace. Il a un sens rythmique extraordinaire, une justesse rare, un groove tout-terrain / quatre saisons et un esprit de créativité qui trahissent son jeune âge. Pi piti pi rèd. Je pense qu’Haïti produit plus de musiciens que tous les pays du monde réunis.  

Il était bruit que Richie et Gazzman Couleur avaient l’intention de créer un groupe musical mais l’objectif n’a pas été atteint. Gazzman a décidé de garder son groupe « Disip », laissant Richie à faire cavalier seul. L’ex batteur-maestro du Zenglen n’a aucun autre choix que de créer son propre groupe, une formation musicale que le grand public attend impatiemment. On spécule autour des membres qui vont faire partie de ce nouvel orchestre. Il est certain que ce groupe aura le Zenglen comme compétiteur. Il existe une grande différence entre compétition et polémique.   

Entre-temps, Brutus s’est mis au travail. Il avait un plan B. Il a trouvé un autre batteur. Puis, il est parti à la découverte. Au cours de son exploration, il a redécouvert Réginald Cangé. Depuis, les négociations avaient commencé. Il semble que Brutus a eu gain de cause. Ils sont arrivés à un terrain d’entente ou presque. Brutus a confirmé la réintégration de cette étoile qui, grâce à son talent, avait déjà aidé cette formation musicale à reprendre place sur la scène musicale après le départ involontaire de Gracia Delva. Le maestro-fondateur du Zenglen, Brutus, a fait un coup de maître. 
  
L’aboutissement des premières négociations entre le Zenglen et Réginald Cangé 

Je me souviens encore des premières négociations entre Reginald et Zenglen. Le mercredi 12 mars 2003, à Tabarre, Haïti, Réginald et moi avions eu une journée de réflexion et d’échange d’idées concernant les négociations avec cette formation musicale qui, lors, avait grandement besoin du jeune chanteur pour reprendre ses activités et aussi combler le vide que le départ de Gracia Delva avait créé. Je l’avais guidé dans ses démarches puisque je comprends toutes les facettes de l’industrie musicale haïtienne. À l’époque des premières négociations, Réginald n’avait pas une idée claire de la situation musicale et des conditions de vie du musicien aux États-Unis. La réalité du monde musical en Haïti diffère de celle qu’on vit aux États-Unis. 

Sans aucun intérêt,  j’avais expliqué toutes les techniques de négociation à Réginald. Toute négociation se base sur la théorie de l’offre et de la demande. Il négociait directement avec Brutus au téléphone. Le maestro Brutus l’appelait souvent depuis la Floride, lors.  Les deux protagonistes avaient enfin trouvé un terrain d’entente. Je ne peux laisser passer inaperçues les démarches de Belande Georges, manager du Zenglen à l’époque, qui avait fait de ce rêve une réalité.  

Réginald maîtrise bien les techniques de négociation. Il ne se laissera pas envelopper avec de belles et vaines promesses. Aujourd’hui,  les négociations semblent arriver à terme dans un délai éclair. Je ne connais pas Brutus mais j’apprécie et je valorise son dynamisme. En deux occasions de suite, il a insufflé le souffle de vie au Zenglen. Il l’a revivifié. Dans le langage vernaculaire haïtien, on dirait qu’il a fait un « Dekabès ». Ce n’est pas tout, mais c’est essentiel. Il ne reste au Zenglen qu’à prouver que son slogan demeure « Zenglen forever ».
  
Pour mieux comprendre et respecter nos artistes 

On a toujours tendance à stéréotyper et minimiser la valeur intrinsèque et académique de nos musiciens. On fait croire qu’ils sont tous des sots, une conception erronée.  Le public n’a jamais eu et n’aura jamais la possibilité de converser avec Réginald Cangé pour découvrir l’homme cet inconnu. Ce chanteur peut discuter des sujets autres que la musique. Il ne souffre pas de cécité intellectuelle. À part son talent d’artiste, Réginald Cangé a un bagage académique qui le démarque de certains chanteurs et musiciens haïtiens de sa génération.
  
En plus de son talent de chanteur, Réginald est aussi un instrumentiste. Il joue à la guitare et à la batterie, chose rare chez d’autres chanteurs haïtiens de cette génération. Il a aussi fait du théâtre. Il est un homme intelligent, éduqué, discipliné et respectueux mais qui ne tolère pas l’arrogance des autres, surtout ceux qui essaient de minimiser sa valeur ou qui veulent le diriger dans une direction qu’il ne veut pas qu’on le conduise. Si on lui tire la ficelle, on l’énerve. Il sortira de ses gonds et vous dira ce qu’il pense sans aucune réserve- la p kimen sou wou. Aux côtés  de Réginald Cangé s’aligneront deux autres chanteurs, Kenny Desmangles et Hollywood (un nom d’artiste). Le plus indiscipliné des trois sera peut-être congédié, s’il ne se courbe pas à la discipline qui a toujours caractérisé le Zenglen.   

Brutus n’est pas le meilleur guitariste du monde Konpa Dirèk mais il s’y connait bien. Il peut ne pas être capable d’exécuter une partition ni jouer des suites d’accords complexes tels que Ré13 dièse 5 bémol 9 (Ré 13  # 5 b 9) ou Sol dièse Majeur 7 bémol 5 (Sol # Maj 7 b 5), mais son apport au Zenglen est d’une grande valeur. Il comprend les principes musicaux et la théorie liée à  l’instrument qu’il joue. D’ailleurs, il joue à  la guitare depuis plus d’une décade. Il respecte les syntaxes musicales. Il maintient le rythme avec facilité. Il n’est pas le seul guitariste du monde Konpa Dirèk qui n’incorpore pas ces accords complexes dans leur musique. Même ceux qu’on fait passer pour excellents guitaristes haïtiens ne les utilisent pas, même si en réalité ces voisements d’accords (chord voicings) pourraient apporter une différente couleur tonale au Konpa Dirèk.   

Je trouve que Brutus fait l’essentiel en musique. Tout marche bien pour lui et le Zenglen. Sa simplicité de style fait dégager le contenu de son cœur. Il parait être un homme sage, patient, courageux, respectueux, combatif et discipliné. Il ne fléchit pas face aux difficultés de la vie et aux critiques acerbes lancées contre lui. J’avais suivi avec intérêt une interview qu’il avait accordée à un animateur d’émission Konpa à Port-au-Prince, Haïti. L’interlocuteur lui posa une question-test pour voir ou savoir s’il avait une certaine animosité envers Richie, il répondit avec assurance et sincérité que celui-ci se portait bien et qu’il a été faire des emplettes. Il parait que Richie et Brutus se trouvaient lors à Port-au-Prince. Une sincérité se dégageait de sa réponse. L’animateur n’a pas réussi son coup. Brutus l’envoya en touche.  
Je ne peux parler du Zenglen sans mentionner Nicolina, la saxophoniste. Il faut qu’on l’applaudisse pour sa conviction et ses principes. Elle a décidé de continuer la route avec le groupe Zenglen. Il faut reconnaitre et valoriser un tel geste. Elle sait nager, c'est-à-dire elle a du talent. Elle pourrait, si elle le voulait, nager et laisser le bateau du Zenglen en péril en pleine mer et gagner le rivage. Elle ne l’a pas fait. Ne mérite t-elle pas une augmentation de salaire et un bonus ? Elle a aussi le nez fin. Elle a foi en ce qu’elle fait. Tous les orchestres aimeraient l’avoir comme saxophoniste. Je pense qu’elle a droit à un ajustement de salaire.  

La section rythmique du Zenglen et la grande innovation 

On ne parle jamais d’Eddy Germain, le percussionniste de Zenglen. Pourtant, il joue un rôle important dans le groupe. C’est quelqu’un qui ne se mêle jamais dans les affaires des autres. Quand on lui parle, il écoute avec attention et prend note. Je l’avais rencontré à S.O Bs, le soir que le Zenglen avait partagé la scène avec le Mambo Legends Orchestra, ce grand orchestre latin composé d’anciens musiciens de l’Orchestre de Tito Puente.  

Eddy et moi nous parlions de musique tout en observant le Bongocero (le musicien qui joue le Bongo). Soudain,  une idée m’est venue en tête. Je l’ai proposée à Eddy, lui disant : « Ed, tu as du talent musical et je connais tes capacités, je sais que tu peux jouer au Bongo, il faut ajouter cet instrument de percussion au sein du Zenglen pour apporter une autre couleur à ta formation musicale ». Il a ajouté le Bongo aux deux tambours. Voilà une innovation qui rend un autre feeling musical. Eddy Germain est donc un Bongocero. Il faut souligner que son frère ainé, Lionel, est un excellent guitariste.  

Dans un avenir pas trop lointain, on verra d’autres groupes musicaux haïtiens ou percussionnistes emboiter le pas dans le même sens. Si les médiocres copient les bons exemples, cela aiderait à nettoyer l’univers musical et améliorer la qualité de la musique de danse haïtienne. Cela permettrait à  notre musique de respirer. Il faut cependant qu’ils sachent qu’installer un instrument exotique c’est bien, mais être capable de le jouer c’est autre chose. Souvent, les musiciens haïtiens, particulièrement les batteurs, ne connaissent pas la nature et le rôle d’un instrument exotique au sein d’un orchestre. Mais, ils l’installent pour impressionner le public parce qu’on en fait usage dans d’autres cultures. Ils s’en servent plutôt comme ornements.  
L’introduction de la cymbale chinoise dans notre musique dansante  
Aujourd’hui, nous vivons le phénomène de l’utilisation fréquente de la cymbale chinoise « la China » que les batteurs haïtiens ajoutent en plus des instruments qui les entourent et qu’ils ne jouent même pas. « La China » est un instrument de percussion très puissant qui offre un son lourd que le Konpa Dirèk n’a nul besoin. Elle est renversée, contrairement aux autres cymbales. Sa concavité fait face au plafond. Les batteurs haïtiens font déjà trop de bruit en raclant la cymbale, à quoi servira donc une telle cymbale (la China). Ces batteurs ne jouent pas à la batterie, ils la battent. Chaque type de cymbale a un rôle bien spécifique en musique. La cymbale « Crash » est utilisée pour marquer un punch, ou signaler une variation dans la progression musicale. C’est une cymbale rythmique. La cymbale « Ride » aide à marquer le tempo.  

La Renaissance du groupe Zenglen avec Réginald Cangé est-elle un rêve ou une réalité ? On le saura bientôt à New York. Le Zenglen a déjà réussi aux examens du premier et deuxième trimestre. Il lui reste à subir l’examen final du troisième trimestre qui aura lieu à New York, ce samedi 31 mars 2012, au Vault Café à Elmont, Long Island. Réginald Cangé sera l’invité de la soirée, d’après l’affiche publicitaire. Il se dit prêt puisqu’il maîtrise parfaitement bien les matières les plus difficiles de son champ d’évolution et d’étude.  Il rappelle que l’examen final ne se prépare pas la veille mais plutôt tout au long de sa carrière musicale.  

Les examens de New York sont toujours beaucoup plus difficiles et les correcteurs d’examens de cette ville et de cet État sont très exigeants. Vraiment, ce public est très exigeant. Un orchestre qui réussit à New York pourra triompher partout. Aux musiciens du Zenglen, je dis ce qui suit: if you can make it in New York, you will make it anywhere.  

Je souhaite bonne chance au Zenglen. 

robertnoel22@yahoo.com

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