Lettre Ouverte à Son Excellence Mr Michel Joseph Martelly
Président de la République
Monsieur le Président de la République,
La Commission d’enquête du Sénat de la République, représentée par
les honorables Sénateurs, soussignés, a l’insigne honneur de vous saluer
et de préciser à votre haute attention l’enjeu de cette interrogation
générale qui place, sous les feux des projecteurs, votre Nationalité, au
regard de l’article 15 de la Constitution qui stipule : "La double
nationalité haïtienne et étrangère n’est admise dans aucun cas."
Monsieur le Président de la République,
L’ampleur du débat que soulève ce cas d’espèce qui harponne votre
corps symbolique de "persona ficta" en fait désormais une question
nationale, de dimension historique.
Les approches prudentes et respectueuses de la Commission diligentées
aux termes de l’article 118 de la Constitution, pour vous aider à tirer
au clair l’état de votre situation et à dissiper ce doute cruel qui
sape votre légitimité, n’ont récolté que la froideur de votre
indifférence et la gouaille de votre banalisation d’une perception
publique qui s’est érigée en fait social et politique.
Il en résulte aujourd’hui des remous qui commotionnent le corps
social et de graves lézardes qui lacèrent votre visage de Premier
Mandataire de la Nation et désacralisent le Pouvoir.
Monsieur le Président de la République, votre refus de collaborer à
l’enquête du Grand Corps, n’a aucune justification si l’on se réfère au
Droit Constitutionnel et à la Philosophie politique des démocraties
modernes.
Les Missions du Président de la République, telles que définies dans
les manuels didactiques des grands auteurs, le confinent généralement
aux rôles de gardien de la Constitution et de garant de garant des
grands intérêts nationaux, comme le prescrit l’article 136 de notre
Charte fondamentale.
Comment comprendre alors, Monsieur le Président, votre choix
d’ignorer le droit d’enquêter reconnu au Parlement par la loi-mère et
celui de maintenir sur votre nationalité un flou déstabilisant qui
accélère la descente aux enfers du pays aux détriments de la stabilité
sociopolitique.
Nous référant aux paroles célèbres du député Cabèche lors de l’occupation américaine, permettez-nous de dire à son Excellence :
"Quand le peuple haïtien aura un jour à gémir de ces fers que vous
essayez de lui forger, et que les générations futures auront à exercer
la mémoire de ceux qui ont été les artisans de cet instrument de honte,
nous ne voudrions pas que nous soyons du nombre ; nous ne voudrions pas
non plus que nos noms figurent au bas du procès-verbal ou sera opérée la
honte de toute une institution ou de toute une nation". C’est pourquoi,
en tant que Président de la République jusqu’ici, nous vous demandons
de choisir la voie de la sagesse pour éviter le pire au pays. Car,
aucune volonté particulière ne peut se substituer à la volonté générale.
La démystification du politique met bas les masques.
Blaise Pascal, dans son traité de philosophie politique intitulé
"Trois discours sur la condition des grands", vous rappelle que c’est à
la faveur d’un hasard, le hasard d’une occasion que vous faîtes partie
des grands. Dans le premier discours, il raconte l’histoire d’un être en
exil, sur une terre qui lui est inconnue, ramené à sa condition
misérable mais en qui le peuple reconnaît son roi...
Charles de Gaulle renchérit, pour vous apprendre, dans son livre
intitulé "Du Prestige", que l’élévation d’un homme au-dessus des autres
ne se justifie que s’il apporte à la tâche commune l’impulsion et la
garantie du caractère...
Platon, sous la plume d’Hannah Arendt, a découvert, pour votre
gouverne, que la vérité, en tous cas les vérités que l’on nomme
évidentes, contraignent mieux l’esprit que la persuasion,
l’argumentation et les moyens externes de violence.
Assautez l’admiration et la vénération de votre peuple en accédant à
l’excellence citoyenne qui selon Aristote permet "de bien commander et
de bien obéir."
Monsieur le Président de la République, la Commission d’enquête du
Sénat de la République, vous ouvre les voies inédites de l’exemplarité,
de l’honneur et de la gloire, en vous assignant une tâche
exceptionnelle. Elle vous enjoint , au nom du peuple souverain qui a
mandaté le Législatif, au nom de l’histoire et de la vérité, d’écrire
personnellement et respectivement aux instances compétentes des
Etats-Unis d’Amérique et d’Italie, pour leur demander de fournir, de
manière explicite, à la nation haïtienne, toutes les informations
relatives à votre nationalité. Ainsi, il sera mis fin à la saga qu
ballotte le pays aux quatre vents.
Monsieur le Président de la République, un citoyen de nationalité
haïtienne a tout à gagner d’une démarche de cette valeur, marqué au coin
du patriotisme, de la noblesse et du dépassement de soi.
La Commission d’enquête vous prie d’agréer, Monsieur le Président de
la République, avec ses voeux de magnificence, l’expression de sa très
haute considération.
Que Dieu vous inspire et vous donne la force herculéenne de forcer les portes du Panthéon National !
Port-au-Prince, le 5 mars 2012.
Suivent les signatures des membres de la Commission spéciale d’enquête :
Sénateur Polycarpe Westner
Sénateur Jean Charles Moïse
Sénateur Bien-Aimé Jean-Baptiste
Sénateur Steven Benoît
Sénateur John Joel Joseph
Sénateur Cassy Nenel
Sénateur Youri Latortue [NDLR : Non-signé]
Sénateur Joseph Lambert [NDLR : Non-signé]
Sénateur Yvon Buissereth [NDLR : Non-signé]
Voici l’original de la lettre :
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